« On va probablement monter à 50 % du territoire soustrait », redoute Alain Poirier

  • Publié le 17 janv. 2025 (Mis à jour le 23 mai 2025)
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Le directeur de l’Association de l’exploration minière du Québec, Alain Poirier, s’est longuement confié auprès du Citoyen, en décembre dernier, dans un bel hôtel montréalais. M. Poirier s’est épanché sur les enjeux du secteur minier, l’interventionnisme politique, la réforme de la Loi sur les mines ou la perception générale de ce monde souterrain qui fascine. Entretien exclusif.

L’exploration figure quelque « processus long et risqué », confesse le directeur général de l’Association de l’exploration minière du Québec (AEMQ), Alain Poirier. « En exploration minière, tu commences aujourd’hui, mais tu peux ouvrir une mine dans 30 ou 40 ans », martèle-t-il.

Les délais découlent de la complexité du processus, du besoin de financements répétés et de la volatilité du marché qui s’avère strict : les règles internationales (règlement 43-101) imposent de publier des données validées par un géologue qualifié.

La naissance du 43-101 procède d’un fameux précédent. « L’existence du 43-10 découle d’une grande fraude à Bre-X, fin des années 90. Bre-X, une société mondiale, était en Indonésie. Ils avaient des résultats de forage incroyables, l'action est passée de 52 centimes à 125 $. Finalement, il n'y avait rien de réel », explique M. Poirier. 

Les autorités instaurèrent un cadre pour que ça ne survienne plus : le 43-101. Il y a un second code en vigueur : JORC (Joint Ore Reserves Committee) en Australie. 

En 2023, le Québec s’est classé cinquième mondialement et deuxième au Canada parmi les meilleures juridictions minières. Toutefois, les nouvelles contraintes énoncées ci-dessous pourraient affecter ce positionnement. 

L’épée de Damoclès
À ces défis économiques se greffent des enjeux cruciaux. L’avenir s’assombrirait selon Alain Poirier : « en 2030, on doit atteindre 30 % de protection du territoire. Que va faire le gouvernement du Québec ? Ajouter des aires protégées ? Aussitôt qu’il y a une aire protégée, il n'y a pas d'activité minière. On va probablement monter à 50-55 % du territoire qui va être soustrait à tout jamais. Il y aura assurément des mines qu'on n'aura jamais découvertes ». 

L’ultime mouture de la Loi sur les mines (projet de loi 63) s’apparente à une douche écossaise. « Qu'il y ait un BAPE, on est totalement d'accord avec ça. On a plus de difficultés avec la soustraction de territoire, comme a décidé la ministre. Elle s’est donné 20 pouvoirs discrétionnaires pour s’immiscer dans chacune des étapes du projet », s'alarme Alain Poirier.
« L’intérêt public », acception vaste, peut être invoqué pour refuser un projet. 

Les opposants aux projets miniers, à l’instar de Rodrigue Turgeon (co-porte-parole de la Coalition Québec meilleure mine), réclament un encadrement plus strict ; l’AEMQ plaide pour une approche basée sur le savoir scientifique et une stabilité réglementaire. 

Des cycles virevoltants
« L’exploration minière est victime de cycles assez violents : quand ça va bien, ça va très bien ; quand ça va mal, ça va très mal. Ça change parfois à l'intérieur de la même année », sourit M. Poirier. 

Cette imprévisibilité complique le sort des petites sociétés dites juniors, qui n’ont souvent aucune mine en production. Elles survivent ainsi : « Tu vends des actions sur le marché public. Tu fais des travaux avec l’argent de cette vente. Quand tu n'as plus d'argent, tu retournes sur les marchés publics », résume cet ancien de la finance.

Majors et juniors se distinguent. Les majors (Agnico Eagle, Newmont, etc.) exploitent déjà des mines, réinvestissent autour de leurs infrastructures assurant leur rentabilité à long terme. Les juniors se focalisent sur la prospection : la plupart ne perçoivent aucun revenu de production au début.

Beaucoup d’appelés, peu d’élus
Beaucoup d’appelés, peu d’élus. « Au Québec, il y a 300 projets d'exploration, on ouvre une mine par année. Depuis 20 ans, sur 20 mines qui ont ouvert, 6 sont des anciennes mines en maintenance ; 6 sont des mines qui étaient sur des sites miniers. En réalité, en 20 ans, il y a eu juste cinq ou six nouvelles mines au Québec », détaille-t-il.

Les chiffres de 2023
Les investissements en exploration ont atteint 949 M$ en 2023, répartis comme ceci : 

Parallèlement, le coût du forage a explosé. En Abitibi, on estime à 204,4 $ le mètre foré, pour un total de 81,4 M$ investis et près de 400 000 m forés. En Eeyou Istchee Baie-James : plus d’un million de mètres forés. Le coût du forage y est supérieur.

Alain Poirier en décrypte les motifs : « L’éloignement fait grimper le prix. Si, en Abitibi, t’es capable d'amener la foreuse en camion et que les travailleurs arrivent en pick-up. Ça va bien. À la Baie-James, tu dois héliporter ta foreuse en 10 morceaux. Ça coûte une fortune ».

« Depuis 2019, le coût a augmenté de 35 %. Alors, souvent, pour compenser, tu vas en faire 35 % en moins », souligne-t-il.

Image
Une roche avec une teneur aurifère.

Bilan 2024

  1. Pouvoirs discrétionnaires accrus de la ministre 
    Ce point tracasse particulièrement les sociétés d’exploration. 

  2. Acceptabilité sociale renforcée
    Les projets miniers doivent démontrer un soutien accru aux communautés locales et autochtones. Cela peut aussi rallonger les délais et gonfler les coûts. 

  3. Lutte contre la spéculation 
    Freiner la spéculation sur les claims est salué par la majorité des acteurs. Mais l’alourdissement des démarches administratives pourrait pénaliser les juniors déjà fragiles. 

  4. Autorisation à impacts (ATI) 
    En vigueur depuis mai 2024, l’ATI impose de nouvelles étapes aux travaux d’exploration. Résultat : des délais plus longs et des budgets plus élevés. 

Enfin, M. Poirier vante le rôle de la Société québécoise d'exploration minière (SOQUEM). « Créée par René Lévesque en 1965, la SOQUEM a permis des découvertes, des mises en place de mines, etc. Une présence essentielle dans notre écosystème minier. C’est une particularité. Ça n’existe pas ailleurs au Canada. »

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