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Retour25 janvier 2017
Chirugien millionnaire: tout le monde était au courant
La direction avait tous les leviers nécessaires, mais n’a rien fait

©TC Media - Marie-Hélène Paquin
Le rapport d’enquête concernant la rémunération jugée excessive du Dr Issam El-Haddad, du bloc opératoire de l’hôpital de La Sarre, permet d’apprendre que la situation était très bien connue du milieu, mais que l’ancienne direction du CSSS des Aurores-Boréales n’a rien fait pour corriger la situation. Le conseil d’administration, lui n’était pas au fait de la situation.
Entré en poste en 2007, le chirurgien Issam El-Haddad a rapidement mérité l’estime de ses collègues et de la direction de l’ex CSSS des Aurores-Boréales. Très impliqué dans son milieu, il réussit à faire fondre les listes d’attente dès 2009, notamment en opérant le soir, la nuit et les fins de semaine. Tout le monde accueille son efficacité et souligne le service rendu à la population d’Abitibi-Ouest.
Or, même après que les listes d’attente aient grandement diminué, le chirurgien continue d’opérer en dehors des heures ouvrables, moment qui sont beaucoup plus payants. La situation perdure, la direction est au courant, elle est même discutée à 11 reprises lors de rencontres de gestion.
Le phénomène devient institutionnalisé; une politique interne permet d’opérer les jours fériés et le temps supplémentaire des employés du bloc opératoire est même budgétisé. L’analyse est sans équivoque: la direction est au courant, mais ne réussit pas à stopper ses agissements. Un reportage d’Enquête permet d’apprendre, à l’automne 2016, que le médecin touche un salaire d’environ 1,5 M $ par année grâce à son horaire non-conventionnel. Le manège durera près de neuf ans.

On n’aura jamais l’heure juste sur le pourquoi la haute direction n’a pas procédé, mais c’est dommage -Jacques Boissonneault
CISSSAT
En avril 2015, le ministre de la Santé crée les Centres intégrés de santé et de services sociaux, dont celui de l’Abitibi-Témiscamingue. Cette nouvelle instance régionale est mise au fait de la situation dès octobre 2015 et met alors en place des mesures pour corriger la situation. Anciennement chef du bloc opératoire de La Sarre, Dr El-Haddad perd cette fonction lors de la création du CISSS. Elle est alors confiée au Dr Éric Dupras, d’Amos.
Une enquête administrative indépendante est commandée, dont le rapport a été déposé à la mi-décembre. Après avoir rencontré tous les employés et cadres du bloc opératoire, Jacques Boissonneault, PDG du CISSSAT, le rend public.
Faits saillants du rapport
- Les actions posées par la haute direction de l’ex-Centre de santé et de services sociaux des Aurores-Boréales n’ont pas permis de rétablir la situation;
- La situation était très bien connue dans le milieu;
- La pratique d’opérer en dehors des heures régulières du bloc opératoire a été institutionnalisée au CSSS;
- La problématique des activités chirurgicales en dehors des heures régulières est maintenant corrigée et suivie de près;
- Les mesures mises en place par le CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue sont suffisantes et adéquates pour assurer la pérennité du changement;
- Le regroupement en CISSS apporte des avantages pour prévenir et limiter les conséquences liées à ce type de situations. En effet, les décisions ne sont pas uniquement prises par une ou deux personnes qui détiennent tous les pouvoirs.
«Ça ne se reproduira plus»
Le PDG du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue Jacques Boissonneault se désole qu’une situation ayant entraîné des dépenses de fonds publics pendant près de neuf ans n’ait pas été corrigée par la haute direction de l’ex-Centre de santé et de services sociaux des Aurores-Boréales. Il se dit imputable de la situation, même s’il n’avait rien à voir avec les pratiques du Dr El-Haddad et du bloc opératoire de La Sarre.
Le temps supplémentaire assuré par les infirmières, auxiliaires, inhalothérapeutes et autres professionnels chargés d’assister le chirurgien a eu des conséquences négatives sur leur santé et leur moral, confirme le rapport d’enquête. Épuisements professionnels, congés maladie et même démissions ont découlé de cette pratique au bloc opératoire de La Sarre. Le PDG leur a livré ses plus profondes excuses.
«Je les ai rencontrés, je leur ai expliqué la situation en toute transparence, qu’il y avait des leviers pour que ça cesse et que, pour des raisons qu’on ignore, la direction ne l’a pas fait. J’ai également mentionné que je trouvais déplorable que lorsqu’on a une équipe en détresse, qu’on a un rapport d’évaluation qui le démontre, on n’ait pas agi. Je leur ai assuré que ce n’était pas la façon dont je voulais gérer et que ça ne se reproduirait plus», a affirmé Jacques Boissonneault.
Les règles rétablies
Dès que le CISSSAT a pris connaissance du dossier, les politiques qui avaient été mises en place à l’époque du CSSS des Aurores-Boréales ont été abolies. «C’est du jamais vu, d’avoir une politique pour permettre d’opérer dans les congés fériés, a confirmé M. Boissonneault. Est-ce qu’elle avait été mise de l’avant dans une optique où on voulait réduire les listes d’attente, je ne le sais pas. On n’aura jamais l’heure juste sur le pourquoi la haute direction n’a pas procédé, mais c’est dommage.»
Parmi les facteurs avancés dans le rapport, on note la crainte de perdre le seul chirurgien du bloc opératoire si on le forçait à modifier ses pratiques. «J’ai été directeur général d’établissement et on est bien seul dans ces positions-là, a témoigné M. Boissonneault. Je suis convaincu que M. Fortin était déchiré dans un dilemme où il ne voulait pas prendre le risque de perdre son chirurgien et affecter le service localement en Abitibi-Ouest.»
Dorénavant, toutes les chirurgies qui sont effectuées à l’extérieur des heures normales d’utilisation du bloc opératoire sont suivies de près. On évalue le degré d’urgence de chaque chirurgie avant d’opérer de soir, de nuit ou de fin de semaine.
Toujours à l’emploi
Dr Issam El-Haddad pratique toujours la chirurgie à l’hôpital de La Sarre. «Dr El-Haddad a des privilèges des pratique chez nous et un privilège de pratique permet d’effectuer des activités cliniques au sein de l’établissement, a précisé M. Boissonneault. Le problème que l’on a traité dans les derniers mois touchait des éléments administratifs […] donc nous sommes intervenus à ce niveau-là. Maintenant, sur le plan professionnel, jusqu’à ce jour, on n’a rien à reprocher au Dr El-Haddad au niveau de la qualité de ses chirurgies. Il est toujours au travail et c’est son choix.»
Toutefois, il n’occupe plus un poste de gestion lui permettant de prendre des décisions aussi importantes qu’il le faisait à l’époque. «Dans la nouvelle réalité du CISSS, on a maintenant un département de chirurgie régional. Il est membre de ce département-là mais n’en est pas le chef», a assuré M. Boissonneault. Quant à des sanctions sur le plan de la rémunération, il en reviendra à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) de faire sa propre enquête. De plus, s’il est jugé que les agissements du Dr El-Haddad ont compromis la qualité des soins, ce qui ne faisait pas partie du rapport administratif, ce sera au Comité des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de sévir.

©TC Media - Archives/Yvon Audet
Paul Fortin, directeur général de l'ex-CSSS des Aurores-Boréales, et le Dr Issam El-Haddad, ancien chef du bloc opératoire de l'hôpital de La Sarre.
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