Société
Retour06 février 2023
Lucie Charest - lcharest@lexismedia.ca
Survivre à la perte d’un proche qui s’est enlevé la vie
Un cheminement pas si évident lorsqu’on est à l’aube de sa propre vie

©Lucie Charest - Le Citoyen

Stacia Gaudet n’avait que 15 ans lorsque son papa s’est enlevé la vie. Avec beaucoup de générosité et de sensibilité, elle a accepté de s’ouvrir sur son deuil, sur les étapes qu’elle a franchies. Ces étapes où colère, pardon, peine, résilience se sont succédées dans sa tête et dans son cœur.
«Ça a été un double choc, se souvient la nouvelle maman d’un poupon d’à peine deux mois. Déjà, perdre son père, c’est une douleur indescriptible. C’est ma mère qui a eu la lourde tâche de nous l’annoncer. D’apprendre sa mort, c’est comme une grosse vague qui nous ramasse. J’étais là, j’attendais la suite. Quand elle m’a dit qu’il s’était suicidé, ça a été une deuxième grosse vague.»
Le décès du père de Stacia Gaudet s’est produit pendant la période de chasse. Elle a d’abord cru que c’était dû à un accident, un accident de quatre-roues, de véhicule. «Papa était un chasseur, nous croyions qu’il était dans le bois, relate-t-elle, nous ne savions pas qu’il était rentré chez lui. Moi j’étais la plus vieille, les enfants ne s’étaient doutés de rien, et heureusement pour nous, nous n’avions pas à porter ça de ne pas l’avoir vu venir. Nous, notre père, nous avions de beaux moments avec lui, nous faisions des activités de famille, il travaillait. J’avais peut-être le préjugé que les personnes qui se suicident, ce sont des personnes qui ont des problèmes graves de santé mentale. Papa ce n’était pas ça, pas lui. En tout cas, il ne le laissait pas paraître.»

«Le plus difficile, c’est de savoir qu’il a souffert tout seul, qu’il a traîné cela tout seul» - Stacia Gaudet
Cheminement
Le fait que Stacia Gaudet était adolescente au moment du décès de son père a entraîné sa part de déstabilisation, fait naître des questionnements auxquels tous les ados ne sont pas nécessairement confrontés.
«C’est un peu contradictoire de donner un sens à la vie quand la personne qui t’enseigne c’est quoi la vie s’enlève la vie», a illustré Mme Gaudet.
Pour elle, le deuil s’est fait année après année, un long processus où elle a avancé à petits pas. «J’étais fâchée, pas juste après lui, après tout le monde, se souvient-elle. C’est de pardonner aussi. Me pardonner à moi d’avoir été fâchée, après lui, après ma mère, ses amis. Comment, ils n’ont pas pu le voir. La maturité nous apprend que ce n’est la responsabilité de personne. Pour lui, c’était sans doute la dernière alternative.»
Au fil du temps
Aujourd’hui, 15 ans plus tard, Stacia Gaudet nous apparaît comme une jeune femme remplie de vie, rayonnant d’une belle maturité. Avec son jeune fils blotti contre son cœur, elle évoque les formidables souvenirs qu’elle a gardé de son père avec une belle lueur dans les yeux.
Lorsque nous lui avons demandé si le plus difficile était de pardonner, sa réponse a été sans aucune équivoque. «Le plus difficile, c’est de savoir qu’il a souffert tout seul, qu’il a traîné cela tout seul», a-t-elle reconnu.
Toutes deux touchées en bas âge

©Lucie Charest - Le Citoyen
Anabelle Landry-Genesse et Stacia Gaudet ont toutes deux perdu leur papa à un très jeune âge.
Ne pas hésiter à accepter de l’aide
L’Abitibi-Témiscamingue détient le triste classement de 2e région du Québec où le taux de suicide est le plus élevé. Anabelle Landry-Genesse, directrice du Centre de prévention du suicide du Témiscamingue (CPST) en sait quelque chose.
Au terme de l’entretien avec Stacia Gaudet, telle n’a pas été notre surprise d’apprendre que Mme Landry-Genesse, qui l’accompagnait, avait également perdu son papa par suicide. Elle était alors âgée de 11 ans.
«Nous ne dirons jamais assez à quel point il est important de ne pas hésiter à demander de l’aide, a-t-elle rappelé. Rien ne semblait me prédestiner à travailler au CPST. Pourtant, je sais aujourd’hui à quel point cela peut faire une différence. Ici, nous aidons autant les personnes qui ont des idées suicidaires que celles qui sont endeuillées par suicide. Notre intervention peut contribuer à aider à trouver d’autres pistes de solution lorsque quelqu’un ne voit pratiquement plus d’autres façons de s’en sortir.»
Aujourd’hui, tant Anabelle Landry-Genesse que Statia Gaudet travaillent en relation d’aide. L’une est directrice du CPST, l’autre est travailleuse sociale en santé mentale jeunesse.
L’Abitibi-Témiscamingue compte sept Centre de prévention suicide répartis aux quatre coins de la région. Pour en savoir plus : https://www.preventionsuicide.ca/
Selon l’INSPQ
D’après les données compilées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le taux annuel de décès par suicide peut osciller autour des 1120, soit plus de trois par jour uniquement au Québec.
Ces données mises à jour en 2022 confirment que les hommes de 54 à 60 ans sont les plus touchés par ce fléau, atteignant les 300 chaque année.
En 2020, pas moins de 2035 femmes ont été hospitalisées à la suite de tentative de suicide comparativement à 1378 hommes. Ce total de 3415 correspond approximativement à neuf tentatives de suicide chaque jour de l’année.
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